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Redonner de l'oxygène à nos états
Diminuer très fortement les taux d’intérêt sur la vieille dette
Est-il normal que les Etats payent 600 fois plus cher que les Banques privées pour se financer ? La Réserve fédérale américaine a discrètement prêté aux banques en difficulté la somme gigantesque de 1.200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %. Au même moment, dans de nombreux pays, les peuples subissent de plein fouet des plans d’austérité car les marchés financiers ne prêtent de l’argent à certains États qu’à des taux de 6, 7 ou 11 %. Asphyxiés par de tels taux d’intérêt, les gouvernements sont poussés à bloquer les retraites, les allocations familiales ou les salaires des fonctionnaires et à couper dans les investissements, ce qui accroît le chômage et provoque une récession.
Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent d’habitude à 1 % auprès des Banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 % mais que, dans la même crise, les Etats soient obligés, au contraire, de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? « Etre gouvernés par l’argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé » affirmait Roosevelt. Il avait raison. On ne peut pas continuer à chouchouter les banques en maltraitant les Etats et les peuples.
Comment donner de l’oxygène à nos finances publiques immédiatement ? Comment agir sans modifier les Traités, ce qui demandera des mois de travail et deviendra bientôt rigoureusement impossible si l’Europe est de plus en plus détestée par les peuples ? L’essentiel des sommes que nos Etats empruntent sur les marchés financiers concernent le refinancement des dettes anciennes arrivées à échéance. Le passé, c’est le passé. Faire payer des taux d’intérêt colossaux pour des dettes accumulées il y a 5 ou 10 ans n’aide pas du tout à responsabiliser les gouvernements, mais seulement à asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées : sous prétexte qu’il y a un risque, elles prêtent à des taux très élevés, tout en sachant qu’il n’y a sans doute aucun risque réel puisque le Mécanisme Européen de Stabilité est là pour garantir la solvabilité des états emprunteurs...
Il faut en finir avec ce "2 poids, 2 mesures" ! Cela implique d’aligner les conditions de financement des établissements publics sur celles des banques commerciales qui empruntent à 1% dans les opérations de LTRO (Long-Term Refinancing Operation). En période de crise, en nous inspirant de ce qu’a fait la Banque centrale américaine pour sauver le système financier, la "vieille dette" de nos Etats pourrait également être refinancée à des taux de 0,01 %.
Il n’est aucunement besoin de modifier les Traités européens pour mettre en œuvre cette idée : certes, la BCE n’est pas autorisée à prêter aux Etats Membres, mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des banques centrales) et aux organisations internationales (article 23 du même statut). Elle peut donc prêter à 1% ou 0,01 % à la Banque Européenne d’Investissement, à la Caisse des Dépôts ou à n’importe quelle banque publique nationale qui, à leur tour, peuvent prêter ces montants aux Etats qui s’endettent pour rembourser leurs vieilles dettes.
En Grèce, au Portugal, en Espagne, on voit, grandeur nature, comment les plans de rigueur au lieu de "soigner le malade" provoquent en même temps la récession, l’aggravation de la crise des finances publiques et une crise politique. Il est évident que la multiplication des plans d’austérité amène à une situation explosive. Il est vital pour notre société de lever le couvercle avant que la marmite explose. Pour conserver les rentes des banques, allons-nous laisser l’Europe sombrer dans l’instabilité politique ?
Le rôle fondamental que les Traités donnent à la Banque centrale est de veiller à la stabilité des prix. Comment peut-elle rester sans réagir quand certains pays voient le prix de leurs Bons du trésor doubler ou tripler en quelques mois ? La Banque centrale doit aussi veiller à la stabilité de nos économies. Un engagement de la BCE à ne pas laisser les « spreads » [1] des pays membres passer un certain seuil, selon des règles empêchant de rémunérer les comportements laxistes du passé, cassera pour un certain temps la spirale de hausse et redonnera de l’oxygène à nos Etats. En clair, si les banques ou les marchés sont trop gourmands, le BCE intervient avec cette proposition pour calmer le jeu. Les marchés ne peuvent plus dicter leurs conditions.
[1] Le spread est la différence entre les taux d’intérêt qu’imposent les marchés à un Etat en difficulté (la Grèce ou l’Italie) et les taux payés par un pays qui se finance à bon compte (comme l’Allemagne).
Mettre fin au dumping fiscal en Europe
Créer un impôt européen sur les bénéfices des entreprises
Le taux d’impôt sur les bénéfices des entreprises n’est que de 25 % en moyenne en Europe contre 40 % aux Etats-Unis [1] . C’est le monde à l’envers ! On croyait que les Etats-Unis étaient les plus libéraux mais ils taxent plus que nous les bénéfices des entreprises.
Pourquoi l’Europe a-t-elle un taux aussi faible ? Depuis l’adhésion de l’Irlande et de la Grande-Bretagne, en 1973, et l’élargissement à 27, tous les états européens sont poussés au moins-disant fiscal par les états qui baissent leur impôt sur les bénéfices pour attirer les entreprises. L’Irlande a baissé son taux à 12 % et tous les états membres ont dû baisser leur impôt sur les bénéfices… Au niveau européen, le taux moyen d’impôt sur les bénéfices a baissé d’un tiers en vingt ans. Ce moins-disant fiscal est l’une des causes importantes de l’endettement public.
La dernière fois que l’on a connu une telle course au moins-disant fiscal, c’était aux Etats-Unis dans les années 1920 : le Texas baissait ses impôts pour attirer les entreprises. Puis c’est la Floride qui baissait l’impôt sur les bénéfices. Puis l’Ohio… Les entreprises (et leurs actionnaires) profitaient sans complexe de ce dumping fiscal. Jusqu’à ce qu’éclate la crise de 1929. Les Etats se rendirent compte alors que leurs caisses étaient vides et qu’ils n’avaient pas les moyens d’aider les chômeurs ni de relancer l’activité en augmentant les dépenses publiques !
Dès qu’il arrive au pouvoir, Roosevelt crée un impôt fédéral sur les bénéfices pour rendre impossible le dumping entre états voisins. En Europe au contraire, il n’y a pas d’impôt européen. Ce qui favorise grandement le dumping entre voisins. Voilà comment nous sommes arrivés à un taux d’imposition de 15 points inférieur à celui des Etats-Unis. Aucun pays d’Europe ne peut augmenter de 15 points son taux d’impôts sur les bénéfices : s’il est le seul à le faire, les entreprises partiraient toutes dans les États voisins. Mais rien ne nous empêche d’agir au niveau européen en créant un impôt européen sur les bénéfices.
L’idée de créer un impôt européen avait déjà été avancée par Jacques Delors dans les années 1980. Après presque 30 ans de réflexion, il devient urgent de passer à l’action !
Jamais il n’y a eu autant de bénéfices (plus de 550 Milliards d’euros en 2011 pour les seules entreprises du DJ Stox 600 [2] mais jamais l’impôt sur les bénéfices n’a été aussi faible!
Il est essentiel de veiller à ce que les sociétés payent leur impôt. L’optimisation fiscale doit être combattue. Trop de règles existent, il faut simplifier, homogénéiser et rendre efficace l’imposition. Trop de grandes sociétés arrivent à contourner l’impôt. Il n’y a pas de raison que les PME payent plus que grandes entreprises alors que ce sont elles qui créent les nouveaux emplois !
En Belgique en 2010 des firmes comme Telenet, Exxon, Arcelor-Mittal, Frère-Bourgeois, Accor Hotels, Belgacom, Solvay, Umicore, BASF ou InBev ne payent pas d’impôts malgré des bénéfices de centaines de millions d’euros. Les 1.000 sociétés présentant les plus gros bénéfices ont réalisé un total de 57 milliards sur lesquels elles n’ont payé que 3,3 milliards d’impôts, soit un taux d’imposition d’à peine 5,73 % !
Le taux effectif moyen d’imposition des sociétés en Belgique a diminué de moitié en dix ans : alors qu’il était de 20 % en moyenne en 2001, le taux d’imposition des sociétés était en-dessous des 10 % en 2009.
Concernant les intérêts notionnels, plus d’une société met sur pied des constructions dans le seul objectif d’éluder l’impôt. Dans la plupart des Etats membres de l’UE, l’impôt des sociétés tend à favoriser le financement des investissements par endettement plutôt que par fonds propres, puisque les intérêts sur les emprunts sont déductibles. Il y a donc une logique économique à vouloir corriger ce biais. Toutefois, la loi belge sur les intérêts notionnels, mal conçue, a permis de nombreux abus, notamment des constructions dans le seul but d’éviter l’impôt. Lors de l’introduction de la mesure, le coût budgétaire était estimé à environ 500 millions €. Il serait en réalité plus proche de 2,4 milliards. Il ressort des études auprès des entreprises belges que si les intérêts notionnels n’ont pas suscité d’investissements significatifs ni en terme de développement de l’entreprise, ni en terme d’emplois, l’introduction des intérêts notionnels a eu comme seule conséquence d’augmenter encore plus les bénéfices des entreprises en diminuant leur taux implicite d’imposition.
[1] Le Monde du 12 avril 2006. Il s’agit là du taux nominal, du taux « officiel ». Des deux côtés de l’Atlantique, le taux réel de prélèvement sur les bénéfices est plus faible à cause de multiples exonérations.
[2] Les 600 plus grandes entreprises cotées d’Europe.
Mettre fin au sabordage fiscal
Oser une vraie révolution fiscale
Pour réduire notre dépendance aux marchés, rééquilibrer nos comptes publics et répondre aux défis sociaux et environnementaux, on peut trouver d’importantes marges de manœuvre au niveau national en rééquilibrant la fiscalité entre les revenus du travail et du capital. Quand Roosevelt arriva au pouvoir, le taux d’impôt applicable aux citoyens les plus riches était de 25 %. Roosevelt décida de le porter immédiatement à 63 %, puis à 79 %. « Pendant près de cinquante ans, jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan, explique Thomas Piketty, le taux supérieur de l’impôt ne descendit jamais en-dessous de 70 %. » Et l’économie américaine a très bien fonctionné pendant ces 50 années. Elle a fonctionné sans avoir besoin de s’endetter…
C’est pourquoi il faut mettre en œuvre une vraie réforme de l’impôt sur le revenu garantissant à la fois plus d’équité, plus de progressivité et plus de démocratie dans l’impôt :
- Equité : la remise en cause des niches fiscales permettrait de rétablir le principe « à revenu égal, impôt égal ». Ce principe minimal d’équité horizontale n’est tout simplement plus respecté dans le système actuel, et cette situation menace l’ensemble de l’édifice. Équité, en particulier, entre revenus du travail et revenus du capital : les seconds sont aujourd’hui largement détaxés, et doivent désormais être imposés sur un pied d’égalité avec les premiers – ni plus, ni moins.
- Progressivité : des taux effectifs d’imposition réellement plus élevés pour les hauts revenus que pour les bas et moyens revenus, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Contrairement à une idée répandue, les travailleurs à bas salaire sont des contribuables lourdement imposés dans le système actuel, et en aucune façon des « assistés ».
- Démocratie : la question des impôts est tout sauf technique, il s’agit d’une question éminemment politique et philosophique, sans doute la première d’entre toutes. Sans impôt, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. Les citoyens doivent s’approprier la question fiscale et ainsi contribuer à l’émergence d’un large débat public.
En Belgique, il n’existe pas d’impôt sur les grosses fortunes, ni de taxation des plus-values des particuliers, tandis que les intérêts notionnels permettent aux firmes transnationales d’éluder une part considérable de l’impôt. A contrario, l’impôt sur les personnes physiques est parmi les plus élevés au monde. La Belgique est donc un paradis fiscal pour les investisseurs financiers, mais pas pour les travailleurs. Par exemple, un salarié gagnant 40.000 EUR par an paiera 14.000 EUR d’impôt (35%), tandis qu’un actionnaire enregistrant une plus-value de 40.000 EUR en vendant des actions ne paiera pas le moindre impôt. Il est temps d’inverser cette logique et de rétablir un équilibre entre la taxation des revenus du travail et du capital.
Le système actuel n’est ni juste, ni efficace. Il suscite la défiance des citoyens-contribuables et menace l’équilibre démocratique du pays. Grâce à la suppression des niches fiscales, à l’extension de l’assiette d’imposition aux revenus du capital et à la mise en place d’un barème progressif, une réforme fiscale permettrait de réduire la pression fiscale et d’augmenter le pouvoir d’achat pour le plus grand nombre, tout en mobilisant des moyens pour financer les services publics.
Démanteler les paradis fiscaux et mettre fin au secret bancaire
En utilisant le levier des commandes publiques, l’obligation de transparence et l’échange automatique d’information
La fuite vers les paradis fiscaux provoque chaque année un manque à gagner fiscal de l’ordre de 1 à 1,5% du PIB pour chaque État membre de l’Union européenne. En Belgique, c’est chaque année une perte de 5 à 6 milliards d’euros. Aujourd’hui, au-delà des beaux discours, aucune action sérieuse n’est engagée pour lutter contre les paradis fiscaux. Plutôt que d’imposer aux peuples des plans d’austérité qui aggravent la crise, les gouvernements doivent déclarer la guerre aux paradis fiscaux.
- En rendant obligatoire la transparence des comptes des firmes transnationales : toutes les entreprises doivent publier leurs activités pays par pays (investissements, profits, impôts) et déclarer l’existence de filiales dans des paradis fiscaux ou des centres offshore. Une telle mesure permettrait de mettre fin à la pratique de l’optimisation fiscale des firmes transnationales via les prix de transfert entre filiales d’un même groupe, qui représentent la majeure partie de l’évasion fiscale dans le monde.
- En boycottant les entreprises ayant des filiales dans les paradis fiscaux : l’État et l’ensemble des pouvoirs locaux (régions, communautés, provinces, communes et intercommunales…) ne doivent plus accorder aucun marché public à une entreprise (banques, entreprise de travaux publics, fournisseurs de systèmes informatiques…) qui a des filiales dans des paradis fiscaux et qui échappe ainsi aux impôts qui financent l’école, la santé, la police ou les retraites.
- En démantelant les paradis fiscaux par l’instauration d’un système multilatéral d’échange automatique d’informations fiscales : un tel système impliquerait que les administrations fiscales seraient automatiquement informées de l’ouverture d’un compte dans un pays tiers et éradiquerait dès lors l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.
La Belgique, qui représente elle-même un paradis fiscal financier, est responsable de l’évasion fiscale qui grève les budgets des Etats membres voisins de l’Union européenne. En effet, les différents mécanismes, tels que les intérêts notionnels, l’absence de taxation des plus-values boursières et des grosses fortunes, favorisent l’évasion fiscale. Ces points sont abordés dans la proposition 3 « mettre fin au sabotage fiscal ». En outre, le régime du précompte mobilier libératoire rend non seulement impossible toute taxation progressive, mais empêche également d’estimer précisément la distribution des revenus, puisque l’identité des bénéficiaires n’est jamais transmise à l’administration fiscale.
A l’échelle internationale, malgré l’annonce du G20 de mars 2009 de mettre fin au secret bancaire, il s’est limité à publier une liste noire et grise de paradis fiscaux et d’exiger qu’ils négocient douze accords bilatéraux d’échange d’information à la demande pour sortir de la liste. Les révélations de l’Offshore Leaks ont toutefois semblé raviver la volonté politique internationale pour enrayer l’évasion fiscale : les Etats-Unis ont adopté une loi (FACTA) qui entrera en vigueur en 2014 et qui imposera à toutes les institutions financières dans le monde de communiquer les informations concernant les résidents américains, tandis que plusieurs pays de l’UE ont plaidé en faveur d’un « FACTA européen ».
Limiter au maximum les licenciements
Renforcer les mécanismes de sauvegarde de l’emploi
En 2009, au lendemain d’une crise financière de très grande ampleur, La Belgique, comme l’Allemagne, ont connu une très faible augmentation du chômage et ont assuré un maintien du niveau de l’emploi, alors qu’en Espagne le chômage explosait pour atteindre un quart des actifs et plus de la moitié des jeunes. Comment expliquer cette meilleure résistance à la crise en comparaison des autres pays de l’Union Européenne ?
En Allemagne, les syndicats ont limité les licenciements et obtenu le KurzArbeit, dispositif qui permet à une entreprise qui voit baisser son chiffre d’affaires de 20 %, de ne pas recourir au licenciement de 20% de ses effectifs mais de baisser son temps de travail de 20 % et garder ainsi tous les salariés. Une contribution de l’Etat compense la perte de salaire et permet le maintien du revenu. Il revient moins cher de maintenir le revenu d’un salarié qui diminue son temps de travail que de financer un chômeur.
En Belgique, l’extension du chômage temporaire déjà en vigueur pour les ouvriers a été étendue aux employés. Ce système permet, en cas de baisse d’activité, de suspendre le contrat de travail pendant un certain temps, la rémunération du salarié étant prise en charge par le chômage avec une compensation pour la perte de rémunération payée par l’entreprise. Moyennant une faible perte temporaire de salaire, l’emploi a ainsi été sauvegardé.
En Belgique comme en Allemagne, c’est la dissuasion du recours aux licenciements et la diminution du temps de travail par un système de chômage partiel qui ont permis le maintien de l’emploi et du pouvoir d’achat des salariés pour soutenir l’activité économique. Il faut donc renforcer ces mécanismes plutôt que de les remettre en question au nom de la course à la compétitivité.
Sécuriser les précaires
Dans chacun de nos pays, chaque mois, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes perdent leur emploi et basculent dans une très grande précarité. Vu la gravité de la crise et le peu d’espoir d’un retour rapide au plein-emploi, les mesures de dégressivité prises récemment pour l’indemnisation des chômeurs aggravent encore considérablement leur situation. De plus, les emplois auxquels ils peuvent accéder, souvent peu rémunérés, à temps partiel et précaires ne leur permettent pas d’échapper à la pauvreté.
Pour éviter que le chômage ne soit synonyme de précarité, de pauvreté ou de déqualification, il faut regarder ce qui se fait au Danemark en matière de sécurité et d’accompagnement des salariés au chômage. La plupart des salariés qui perdent leur emploi peuvent conserver 90 % de leur revenu pendant 4 ans, dès lors qu’ils sont bien en recherche d’emploi ou en formation.
A l’inverse des mesures de dégressivité, prolonger l’indemnisation des salarié(e)s au chômage, c’est une des premières mesures qu’a prises Roosevelt en 1933. C’est aussi une des premières mesures prises par Churchill quand il devient Premier Ministre.
Les salariés sont près de 90 % des actifs mais il est évident qu’il faut aussi améliorer l’indemnisation des artisans et des petits indépendants qui sont souvent des salariés sans protection et se retrouvent parfois dans des difficultés plus grandes encore que les salariés sans emploi. Il faut ainsi revoir en Belgique le système actuel de plafonnement des cotisations des indépendants qui est dégressif et non-solidaire.
Au-delà de cette mesure d’urgence, un débat doit s’engager sur l’unification et la simplification de l’ensemble des dispositifs de couverture sociale dans la perspective de créer un véritable bouclier social.
En aucun cas il ne faut accepter d’opposer l’emploi à la qualité de l’emploi.
Interdire aux banques de spéculer avec notre argent
Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires
Pour protéger l’épargne des citoyens et ne pas faire courir de risques aux finances publiques ni au financement de l’économie réelle, le principe d’une séparation étanche entre banques de dépôt et banques d’affaires vient d’être acté en Grande-Bretagne, mais les lobbies ont obtenu que son application soit repoussée à… 2019 ! C’est évidemment beaucoup trop tard. Vu le risque qu’une crise majeure éclate bientôt sur les marchés financiers, il faut mettre en œuvre cette réforme sans tarder pour protéger l’économie réelle. C’est une condition sine qua non si nous voulons éviter que des banques universelles géantes ne prennent en otage les sociétés européennes parce qu’elles sont « too big to fail » (trop importantes pour qu’on puisse les laisser tomber en faillite).
Pour interdire aux banques de spéculer avec l’argent de M. et Mme Tout-le-monde, il faut séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires. C’est une des premières réformes qu’a fait adopter Roosevelt en 1933 en faisant voter le Glass Steagall Act. Quand Roosevelt fit voter cette loi, il ne laissa que quelques semaines aux banques pour la mettre en œuvre. Les actionnaires étaient furieux et s’y opposaient de toutes leurs forces, mais Roosevelt tint bon. Les catastrophes annoncées ne se produisirent pas. Et l’économie américaine a vécu avec ces règles pendant un demi-siècle.
En Belgique, les difficultés rencontrées par les banques populaires associées au Parti ouvrier belge précipitèrent la décision, par l’arrêté royal du 22 août 1934, de scinder les banques mixtes en banques de dépôts, d’une part, et sociétés de portefeuille, d’autre part, en réponse à une menace réelle de crise bancaire. La réforme entreprise en Belgique fut parmi les plus radicales. Les banques de dépôts belges furent obligées de se cantonner au crédit à court terme, soit n’excédant pas deux ans, et, cas unique en Europe, eurent interdiction absolue de détenir des actions de sociétés industrielles.
En 1993 sous le gouvernement Dehaene I, une réforme du statut bancaire, inspirée par les directives européennes, conduisit à l’adoption du modèle de banque universelle et clôtura l’épisode historique de la banque de dépôts. En 1999, aux Etats-Unis, le Glass Steagall Act fut modifié et la séparation obligatoire fut abolie.
La crise bancaire actuelle trouve son origine dans le fait que depuis les années quatre-vingt, les autorités se sont mises à tolérer et parfois même à encourager les banques à se lancer dans la spéculation financière. Tandis qu’avant cette période, il existait en Belgique et dans beaucoup d’autres pays une stricte séparation entre les banques de dépôts et les banques d’affaires, limitant les activités spéculatives à ces dernières, cette séparation fut graduellement éliminée, rendant possible que la banque de dépôt du coin de la rue se lance dans des activités financières à haut rendement risquées.
Cela pose deux problèmes :
- D’une part, les banques de dépôts sont fragilisées car elles reçoivent des dépôts à court terme et prêtent à long terme. Si les déposants décident de retirer leurs dépôts en masse, c’est la faillite.
- D’autre part, l’Etat garantit, explicitement ou non, une grande partie des dépôts. Lorsque les activités spéculatives entraînent des pertes importantes mettant en danger l’institution, c’est à l’Etat de payer, comme ce fut le cas en Belgique pour Fortis ou Dexia notamment. En définitive, la législation actuelle encourage les banques à privatiser les profits et socialiser les pertes.
Réformer le système bancaire européen sans s’arrêter à mi-chemin et favoriser le financement des PME
La réforme de la structure du système bancaire, incluant la scission, est le complément nécessaire à la mise en œuvre d’une véritable Union bancaire (ce qui inclut un système unique de supervision et de protection des dépôts) telle que proposé par la Commission européenne le 12 septembre 2012 et d’un mécanisme de résolution des défaillances des banques proposé le 6 juin 2012. L’Union bancaire sans scission manquerait l’objectif et empirerait la situation d’aléa moral, avec des prises de risques couvertes par l’UE.
De plus, la loi actuelle pousse les banques à privilégier les activités spéculatives au détriment de l’investissement dans l’économie réelle. Les prêts aux institutions non financières et aux ménages ne constituent que 28% des bilans des institutions financières européennes. En Belgique, ce chiffre est de 24% pour BNP-Paribas, 39,2% pour Belfius, 58,5% pour ING et 17,4% pour la Deutsche Bank. Un des intérêts de cette réforme serait donc aussi d’obliger les banques de dépôt à être bien plus au service des PME qu’elles ne le sont aujourd’hui. Si les banques ne peuvent plus utiliser nos dépôts pour des activités spéculatives à 10 ou 15 % de rentabilité, elles accueilleront sans doute mieux les responsables de PME qui ont besoin de financer des projets de développement « normaux ». De même, les collectivités locales et l’Etat devraient tout faire pour favoriser la création et la croissance des PME. Il faut en particulier améliorer l’accompagnement des créateurs d’entreprises et les aider dans le pilotage quotidien de ces entreprises.
Concrétiser cette mesure urgente en Europe et en Belgique
Le rapport Likanen, commandé par le Commissaire européen Barnier et publié en octobre 2012, préconise la séparation légale de certaines activités particulièrement risquées, si elles représentent une part significative de l’activité de la banque, à l’intérieur d’un même groupe bancaire.
En Belgique, dans sa déclaration de politique générale du 21 novembre 2012, le Premier ministre Elio Di Rupo rappelait que l’accord de Gouvernement prévoit la séparation des activités de banque de dépôt et d’affaires. Suite au dernier conclave budgétaire 2012, le gouvernement fédéral s’est engagé à légiférer en ce sens en 2013. Des paramètres essentiels restent à préciser : la définition des activités à risques
et le ratio (activités à risque/total du bilan) à partir duquel la séparation sera exigée.
En finir avec l’irresponsabilité des financiers
Aux États-Unis, l’autorité de surveillance bancaire (FDIC) a décidé le 6 juillet 2011 que les dirigeants des plus grands établissements financiers américains pourront perdre rétroactivement leur rémunération en cas de faillite de leur entreprise. L’État pourra “récupérer la rémunération des dirigeants” qui auront été jugés “clairement responsables” de la faillite de leur société. Ces personnes pourront désormais se voir opposer un “critère de négligence” permettant de récupérer leur rémunération a posteriori lorsqu’ils n’auront pas fait preuve “des compétences et de l’attention que la prudence ordinaire exige de pareille fonction et dans des circonstances semblables”. Cette règle est importante pour mettre fin à l’irresponsabilité des dirigeants. Il faut la mettre en œuvre dans tous nos pays en ne visant pas seulement les trois principaux dirigeants (comme c’est le cas aux USA), mais l’ensemble des cadres dirigeants et des traders.
D’autres mesures de réglementation financière sont nécessaires, comme les mesures consistant à interdire l’anonymat sur les marchés financiers, imposer des chambres de compensation sous tutelle publique aux marchés de gré-à-gré et décider de sanctions rétroactives pour les responsables ayant eu des comportements fautifs.
Freiner la spéculation folle et financer nos dépenses collectives
Créer une vraie taxe sur les transactions financières internationales
L’idée de taxer les transactions financières internationales s’inspire de l’idée initiale du prix Nobel d’économie James Tobin, qui proposait au début des années 1970 de taxer à un faible taux toutes les transactions de change à l’échelle mondiale. Depuis lors, la proposition a été élargie à la taxation de toutes les transactions financières internationales, ce qui permettrait de mobiliser chaque année environ 500 milliards d’euros. L’avantage d’une telle taxe est qu’elle pénalise les transactions à court terme, qui sont les plus spéculatives, mais quasi pas les transactions à long terme, plus utiles pour le financement de l’économie réelle et de la création d’emplois. En outre, une telle taxe permettrait non seulement de « mettre un grain de sable dans les rouages de la finance internationale », mais aussi de mobiliser des moyens importants pour les recettes publiques.
De nombreux pays dans le monde appliquent déjà une taxe similaire. Parmi les membres du G20, 11 pays sont concernés dont le Royaume-Uni, la Corée du Sud, Hong Kong, pour les transactions sur les actions, l’Inde et Taïwan pour les produits dérivés, la Suisse et le Brésil pour les obligations. Au Royaume-Uni, le droit de timbre, qui date de 1986 dans sa forme actuelle mais existait sous d’autres formes bien avant, équivaut à 0,5 % du montant de la transaction. Cet impôt porte sur les actions de sociétés britanniques quelle que soit leur place de cotation, les actions de sociétés étrangères cotées au Royaume-Uni, les options sur actions, les droits de souscription d’actions et toute autre forme de produits adossés à des actions.
La mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) est tout à fait réaliste au niveau de la seule Zone Euro, mais elle serait plus efficace et aurait un rendement nettement plus élevé si elle était mise en place simultanément dans l’ensemble de l’Europe ou, mieux, dans l’ensemble des places financières mondiales. Comme tous nos États ont besoin de dégager des ressources nouvelles, tous les dirigeants du G20 devraient mettre en œuvre cette taxe sur les transitions financières sans tarder.
Au niveau européen, l’Ecofin, le conseil des ministres des Finances de l’Union européenne (UE), a donné le feu vert à 11 pays qui ont décidé de l’appliquer selon la procédure de coopération renforcée. Les 11 pays participants sont l’Autriche, la Belgique, l’Estonie, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie, et l’Espagne. Ils représentent environ 90% du PIB de la zone euro. Cette initiative rapportera entre 10 et 37 milliards d’euros par an, selon les estimations. Selon les propositions de la Commission, la TTF frapperait toutes les transactions effectuées entre institutions financières (banques, bourses, fonds de placement, assurances, hedge funds) à hauteur de 0,1% et celles liées aux produits dérivés de 0,01%.
Il faut aller plus loin. Ainsi, pourquoi limiter à 0.01% la taxe sur les transactions liées aux produits dérivés, alors que ces produits ont justement montré le risque qu’ils pouvaient représenter. Il faut cibler la spéculation à court terme qui ne présente aucun intérêt pour l’économie réelle et exacerbe au contraire l’instabilité financière. Dans ce but, une taxe à taux variable, comme proposée dans la loi adoptée par le Parlement belge en juillet 2004, permettrait d’augmenter le taux de la taxe en cas de fluctuations importantes, ce qui renforcerait son caractère régulateur.
Lutter contre les délocalisations et mondialiser le travail décent
Imposer le respect des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial en convoquant un nouveau Sommet de Philadelphie
En 1944, avant de convoquer le sommet de Bretton Woods qui allait reconstruire le système financier international, Roosevelt organisa le sommet de Philadelphie qui réorienta les objectifs de l’Organisation internationale du travail (OIT) et adopta comme priorité absolue le respect d’un certain nombre de règles sociales : « Le travail n’est pas une marchandise. (...) Il n’y aura pas de paix durable sans justice sociale », affirmaient Roosevelt et les autres chefs d’Etat avant de définir des règles sur les conditions de travail, la sécurité sociale et le partage entre salaires et profits...
Ces principes adoptés dans les pays occidentaux débouchèrent sur le modèle social qui permit au cours des Trente Glorieuses 30 ans de prospérité sans dette. Depuis le milieu des années 1980, ce modèle social a été progressivement démantelé par le dumping social engendré par les stratégies de décomposition internationale des processus de production des firmes transnationales, qui ont utilisé l’arme du « chantage à l’emploi » pour mettre les Etats et les travailleurs en concurrence et exiger des normes sociales et environnementales sans cesse moindres au nom de la compétitivité.
Alors que l’ensemble de notre planète est au bord du précipice et que les discours belliqueux et les risques de conflit se multiplient, il est urgent de convoquer un nouveau sommet de Philadelphie. Aux logiques de dumping social, de recherche de bouc-émissaires et de conflit, il est urgent d’opposer un sursaut de coopération en faveur de la justice sociale.
La mondialisation du travail décent ne serait pas seulement bénéfique pour les populations des pays riches, mais aussi pour les pays à bas salaire comme la Chine, dont les déséquilibres économiques et sociaux (la consommation intérieure ne représente que 28 % du PIB contre 60 % en Inde ou en Europe du fait de la dépendance excessive de la Chine envers les exportations) impliquent de renforcer le marché intérieur et donc les revenus et le pouvoir d’achat des citoyens chinois.
Plus généralement, seule l’adoption de normes sociales et environnementales contraignantes à l’échelle mondiale permettra d’imposer aux firmes transnationales de les respecter et d’ainsi enrayer le dumping dont sont victimes toutes les régions du monde, au nom de l’impératif de retour sur fonds propres exigé par les actionnaires majoritaires des firmes. La part des salaires dans les richesses produites a en effet chuté aussi bien dans les pays occidentaux qu’en Chine.
Evolution de la part des salaires dans les richesses produites dans l’OCDE | Part de la masse salariale en % du PIB en Chine |
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Un nouveau Sommet de Philadelphie devrait ainsi promouvoir l’adoption de normes sociales et environnementales qui s’imposeraient à toutes les firmes de la planète. En l’absence d’un tel accord multilatéral, l’Union européenne ne peut continuer à organiser le dumping en son sein tout en acceptant le dumping engendré par la concurrence des pays à bas salaires. C’est pourquoi la nécessaire harmonisation sociale européenne doit s’accompagner d’une politique de promotion des normes sociales et environnementales à l’échelle mondiale. Plutôt que se perdre dans le débat manichéen et stérile entre libre-échange et protectionnisme, l’UE doit faire peser les restrictions non pas sur les pays tiers, mais sur les entreprises, et leur imposant de respecter des normes sociales et environnementales minimales pour vendre leurs produits sur le marché européen. Pour éviter que cette politique d’« accès qualifié » au marché européen ne soit perçue par les pays à bas salaires comme une démarche protectionniste, un mécanisme de soutien devrait simultanément être instauré par le biais d’un fonds mondial pour la promotion des normes sociales et environnementales, qui serait financé par la rétrocession des recettes perçues par l’instauration en Europe de cette « taxe anti-dumping ». De cette manière, le mécanisme permettrait à la fois d’imposer aux firmes le respect de normes sociales et environnementales et de soutenir les pays en développement dans leur application progressive. La course au moins-disant social laisserait la place à une course « vers le haut » en matière de droits sociaux et environnementaux.
L’Europe est le premier marché de consommation au monde : aucune firme ne pourrait s’en passer. L’Europe est le premier client pour les exportations en provenance de Chine, d’Inde, du Brésil ou de la Thaïlande et est un partenaire commercial majeur pour la plupart des pays du monde, ce qui lui donne une vraie capacité de négociation. Il n’y a aucune fatalité à laisser la mondialisation et le marché européen sans règle sociale et environnementale contraignante. Pendant 40 ans, l’Europe a été un espace de régulation et l’économie mondiale a fonctionné avec des règles sociales. Si l’on veut éviter un effondrement de nos économies et le développement de logiques guerrières, il est urgent de faire revivre, très concrètement, l’esprit de Philadelphie.
Créer massivement des emplois et faire baisser les loyers
Investir dans le logement
Peut-on supprimer en Belgique 2.800 emplois dans le secteur du bâtiment en un an [1] quand le pays compte 50.000 sans domicile fixe [2] , que 36.000 demandes de logements sociaux sont en attente rien qu’en Wallonie [3] et que le niveau des loyers est tel que plus de 1000 dossiers d’expulsions sont introduits dans les logements sociaux chaque année [4] ?
La Belgique vit une profonde crise du logement résultant de plusieurs causes concomitantes :
- L’évolution démographique : la population est en croissance continue : près de 300.000 habitants de 2009 à 2012 [5] ;
- Le manque de logements : ainsi, par exemple, alors que la population bruxellois augmente de quelque 14000 habitants par an, on construit moins de 5000 logements [6] ; et en Wallonie, selon la Confédération Construction Wallonne, 200.000 logements devront être créés dans les 10 prochaines années, soit 20.000 par an en moyenne, alors que le chiffre actuel est d’environ 11.000 nouveaux logements chaque année [7]
- Le manque de logements sociaux : ainsi à Bruxelles ces logements ne représentent que 8% des logements disponibles alors que 50% de la population remplit les conditions pour faire appel à ces logements publics. Le pourcentage de logements sociaux n’atteint pas non plus les 8% en Wallonie alors que 18% des Wallons sont au-dessous du seuil de pauvreté. Par comparaison on compte 17% de logement social en France, 24% en Angleterre, 26% en Allemagne et 36% aux Pays-Bas [8]
- Les loyers sont trop élevés et l’accès à la propriété individuelle trop difficiles eu égard à la paupérisation croissante de la population.
- La Belgique est déficiente dans deux autres domaines : il n’y a pas d’encadrement des loyers (les propriétaires fixent les prix comme ils l’entendent) et il n’y a pas d’allocation de loyers (aucune aide au paiement du loyer sauf dans des cas très particuliers)
- De plus, la qualité du logement laisse à désirer dans de très nombreux cas : « En Belgique, 22,6% de la population totale et 30,6% de la population courant un risque de pauvreté sur la base du revenu vivent dans un logement dont le toit, les fenêtres, les portes et les murs présentent des défauts structurels, ou dans lequel il n’y a pas de bain/douche ou pas de toilette avec chasse d’eau, ou dans lequel il fait très sombre ».
- Outre la salubrité déficiente, la performance énergétique des logements devrait impérativement faire l’objet d’un ambitieux plan de rénovation collective. Surtout quand on sait que le niveau moyen d’isolation ne dépasse pas celui d’un pays comme l’Espagne, au climat bien différent, et que la précarité énergétique touche ou menace déjà les trois premiers déciles de revenus.
Face à cette situation, on observe de sombres perspectives d’activité et donc d’emploi dans le secteur de la construction.
Quel non-sens ! On supprime des emplois dans le bâtiment alors qu’on manque de dizaines de milliers de logements. La part des dépenses engagées par la collectivité publique en faveur du logement est insuffisante. Un recul qui vient essentiellement de la diminution de la contribution des pouvoirs publics.
Comment trouver les financements nécessaires pour une vraie politique du logement ? Comment loger tous ceux qui en ont besoin ? Comment faire baisser les loyers du plus grand nombre ?
Aux Pays-Bas, une grande partie du Fonds de Réserve des Retraites (FRR) a été investie dans la construction de logement social (et non pas sur les marchés financiers). Aux Pays-Bas, cela fait longtemps que les partenaires sociaux ont créé un Fonds de réserve et l’ont utilisé pour construire des logements (logement très social, logement social et logement intermédiaire). De ce fait, plus de 50 % du parc de logement est la propriété de syndicats ou de coopératives rattachés à des syndicats. Il y a une vraie mixité sociale dans chaque immeuble ou chaque pâté de maison, et les loyers sont plus faibles car ils ne sont pas fixés par les lois du marché mais par la volonté des syndicats et des coopératives. En outre, cette politique facilite grandement une approche collective de la rénovation des logements puisqu’elle permet d’agir par quartiers en négociant avec syndicats et coopératives, plutôt qu’avec des particuliers au cas par cas.
En Belgique, on pourrait notamment canaliser l’épargne en créant un compte d’épargne spécifique destiné à financer des investissements de long terme dans le logement et les économies d’énergie, par le biais d’un rendement garanti et le transfert de l’avantage fiscal actuellement prévu pour les livrets d’épargne – ce qui n’a guère de sens pour des dépôts de court terme.
Par ailleurs, il faudrait instaurer le principe d’encadrement des loyers, afin de garantir l’accès au logement, ainsi que des critères de référence objectifs sur base desquels calculer un juste prix pour les loyers, comme cela existe aux Pays-Bas. En outre, une taxation plus juste, basée sur le loyer réellement perçu net de charges, plutôt que sur la valeur cadastrale datant de 1975 comme c’est le cas actuellement, pourrait encourager la rénovation du parc locatif.
Investir dans le logement est rentable car, chaque mois, il y a des loyers qui rentrent. Tous les calculs faits aux Pays-Bas ou en Allemagne montrent que, sur 25 ans, investir dans la construction de logement est aussi rentable et nettement plus sûr et plus juste que d’investir sur les marchés financiers qui peuvent s’effondrer du jour au lendemain... De plus, en rééquilibrant le marché, une vraie politique du logement ferait baisser les loyers de dizaines de milliers de locataires et distribuerait du pouvoir d’achat à des dizaines de milliers de ménages.
[1] En 2012, voir http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/801935/l-emploi-s-ecroule-dans-le-batiment.html
[5] Eurostat : population des Etats membres de l’UE au 1er janvier. Pour la Belgique, 2009 =10.753.080 ; 2012 = 11.041.266
[6] Espace-Citoyen : entretien avec Nicolas Bernard, expert en droit au logement et professeur aux Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles
[7] Trends.be et Belga, 29/6/2011
[8] Idem note2
Combattre le dérèglement climatique en créant des emplois
Opérer une transition socio-écologique
Toutes les études récentes montrent que le dérèglement climatique est plus rapide et a des conséquences plus graves que ce qu’on annonçait il y a 5 ou 10 ans. L’ensemble des pays occidentaux continue à produire chaque année plus de gaz à effets de serre. La Chine inaugure chaque semaine une ou deux centrales au charbon. En Sibérie, le dégel du permafrost [1] libère dans l’atmosphère d’importantes quantités de méthane... Bilan ? La production de gaz à effet de serre augmente chaque année alors que les puits de carbone (écosystèmes terrestres et océanique) saturent. Actuellement, plus de la moitié du CO2 émis dans l’atmosphère ne rentre plus dans le cycle du carbone et s’accumule dans l’atmosphère… Si rien ne change, nous risquons bientôt de franchir un seuil à partir duquel il sera très difficile voire impossible de faire marche arrière.
Si nous voulons "gagner la course de vitesse" et sauver notre planète, il ne suffit pas de parler de "développement durable" ou de mettre en œuvre très lentement des Conventions internationales très peu ambitieuses. Si nous voulons gagner la course de vitesse, si nous ne voulons pas laisser à nos enfants une planète invivable, il faut qu’un groupe de pays passe à l’action et apporte très vite la preuve "grandeur nature" qu’on peut effectivement diviser par 4 la production de gaz à effet de serre sans pour autant renoncer à une vie agréable. Les négociations internationales sont indispensables mais elles ne sont absolument pas suffisantes. Il faut qu’un pays ou un groupe de pays prouve qu’un sursaut est possible.
Pour combattre le dérèglement climatique, il faut économiser l’énergie. Si nous voulons nous donner toutes les chances d’arrêter le réchauffement avant qu’il atteigne un point de non-retour, il faut agir très vite, avec le maximum de force, pour isoler tous les bâtiments (publics et privés), développer des énergies renouvelables, repenser les politiques d’aménagement du territoire et de mobilité, promouvoir des transports en commun efficaces et viables, relocaliser certaines activités économiques (dont l’agriculture de proximité) et accélérer le reboisement pour absorber un maximum de CO2 (en Europe comme dans le reste du monde).
Publié en octobre 2006, le rapport de Nicholas Stern sur l’économie du changement climatique soulignait en même temps la gravité du dérèglement climatique et la gravité de la crise énergétique vers laquelle nous allons si nous ne sommes pas capables de diminuer très vite notre consommation d’énergies fossiles. Mais il apportait aussi un peu d’espoir en montrant qu’il n’était pas trop tard pour agir. Il démontrait de façon très claire que, dans chaque pays, pour lutter contre le dérèglement climatique comme pour baisser nos factures de pétrole ou de gaz, il fallait investir chaque année 1 % du PIB dans des travaux d’économies d’énergie : isoler nos maisons et nos appartements. Isoler nos usines et nos bureaux… A l’époque, tout le monde avait applaudi Stern. Mais des années plus tard, force est de constater qu’on ne l’a pas écouté.
Pour éviter que le dérèglement climatique n’atteigne un point de non-retour, il faudrait faire plus que ce que proposait Stern en 2006 mais, hélas, on fait 100 fois moins. Pourtant, répétons-le, nul ne peut douter de l’effet sur l’emploi qu’aurait une telle politique : dans toutes les régions, dans tous nos bassins d’emplois, il faudrait embaucher des gens et les former pour réaliser ces travaux. C’est un immense chantier qu’il faut programmer, organiser et financer sur un grand nombre d’années, mais qui peut contester son utilité ? En février 2011, une étude allemande montrait qu’une telle politique pourrait créer 6 millions d’emplois au niveau européen.
Nicholas Stern montre bien que, vu l’évolution prévisible du prix du pétrole et vu le coût des dégâts du dérèglement climatique, il est tout à fait rentable pour la collectivité d’investir massivement dans les économies d’énergie. Mais qui amorce la pompe ? Qui apporte les premiers financements ? Si la Banque centrale européenne est fidèle aux Traités, elle doit veiller "à la stabilité des prix". Elle doit tout faire pour que diminue le prix de la dette publique, on l’a dit plus haut. Elle doit aussi agir contre l’autre facteur d’inflation : l’augmentation des prix de l’énergie. Pour lutter contre la hausse des prix de l’énergie (mais aussi pour lutter contre le dérèglement climatique et créer massivement des emplois), la BCE doit mettre à disposition de la Banque Européenne d’Investissement à des taux proches de 0% de quoi financer un vaste Plan Européen d’Economie d’Energie.
[1] Le sol congelé de la Sibérie qui se dégèle quand la température monte et libère du méthane, qui a un impact plus important encore que le CO2 en terme de réchauffement climatique.
Développer l’économie sociale
Un modèle économique au service des citoyens et du développement local
Développer l’Economie sociale (et solidaire comme disent avec pertinence nos amis français) est un élément clé du changement de société que nous appelons de nos vœux. L’Economie sociale ouvre en effet la voie d’un modèle économique et social au service des citoyens et du développement local. Elle cherche à produire et à répartir plus équitablement les richesses, à animer un projet économique de manière plus respectueuse des personnes, de l’environnement et des territoires. C’est une économie qui rassemble, qui a déjà fait les preuves de son efficacité et qui peut se développer dans tous les domaines. Par ailleurs, elle permet de faire émerger des métiers nouveaux qui répondent à des besoins émergents dans notre société et aux aspirations du personnel.
L’Economie Sociale (et Solidaire) représente déjà aujourd’hui plus de 16 % des travailleurs salariés, soit près de 600.000 personnes qui travaillent pour plus de 18.000 employeurs. Ces chiffres incluent le personnel de l’enseignement libre et celui des hôpitaux privés (sous statut d’ASBL). Hors enseignement et hôpitaux, l’emploi dans l’Economie sociale représente encore quelque 270.000 salariés et près de 11% de l’emploi salarié en Belgique.
Pour faire de l’ES(S) un acteur clé du nouveau modèle que nous voulons construire, nous devons absolument lui donner les moyens, ce qui suppose d’agir dans quatre grands axes :
1/ Un nouveau Fonds d’Economie sociale et durable
Le Fonds de l’économie sociale et durable, créé par l’état fédéral belge le 13 mai 2003 (société coopérative à responsabilité limitée et à finalité sociale) qui avait pour but « toute forme d’intervention au profit d’organisations ou d’entreprises qui font partie de l’économie sociale et durable, notamment la participation au capital et/ou l’octroi de prêts » a été mis en liquidation, à partir du 1/1/2009, victime de la crise financière pour avoir investi dans des produits toxiques de la KBC [1].
Il faut d’urgence remettre en place un Fonds fédéral ou des Fonds régionaux reprenant cette mission. Comme le précise clairement le portail belgium.be (Informations et services officiels du pays) :
L’économie sociale est une alternative à l’économie classique. Cette autre forme d’économie n’est pas exclusivement basée sur une logique de profit mais repose sur quelques principes essentiels parmi lesquels figurent :
- L’autonomie de gestion par rapport aux pouvoirs publics.
- La priorité du travail sur le capital lors de la redistribution des bénéfices.
- La finalité de service aux membres et à la collectivité plutôt que le profit.
- Un processus de décision démocratique.
- La production écologiquement responsable et dans une optique de développement durable.
Ces particularités permettent donc d’offrir des perspectives d’emploi à des travailleurs qui éprouvent généralement des difficultés à trouver un emploi.
2/ Une politique concertée entre les pouvoirs publics et tous les acteurs de l’ES(S)
Les autorités fédérale et régionales devront veiller à coordonner leurs instruments respectifs de soutien à l’économie sociale (incitants fiscaux, soutiens à la création d’emplois, chèques-service, etc.)
Elles soutiendront les projets de pôles de coopération, contribuant à mutualiser les acteurs du développement durable. Cette politique s’appuiera sur des indicateurs élaborés collégialement et qui intègreront des facteurs de développement durable et de mieux vivre.
Le nouveau Fonds d’Economie Sociale et Durable s’appuiera notamment sur les structures existantes de financement de l’économie sociale, telles que la SOWECSOM en Wallonie, le Réseau Financement Alternatif, Credal ou Triodos en Fédération Wallonie-Bruxelles, et le Fonds flamand de l’économie sociale, Trividend ou Hefboom en Flandre. Les Agences-conseil en économie sociale permettent aussi de soutenir des projets d’économie sociale marchande.
Le soutien à ces différents acteurs permet d’accompagner divers modèles d’entreprise et entrepreneurs sociaux sans exclusive.
3/ L’utilisation de clauses sociales dans les marchés publics devra être sérieusement développée. Cette politique contractuelle doit permettre aux associations de jouer leur plein rôle dans l’offre de service sans être soumises à la pression excessive du marché.
4/ Une démocratisation des pouvoirs à tous les niveaux par la participation des toutes les parties aux processus de décision (notamment par celle des salariés dans la gouvernance des entreprises), par la transparence des rémunérations et la réduction de leurs écarts, par la lutte contre les exclusions et les discriminations.
[1] Question écrite n°5-3115 du Sénateur Alexander De Croo au vice-premier ministre et ministre des Finances, 21/9/2011.
Négocier un autre partage du temps de travail et des revenus
S’attaquer frontalement au chômage
Le partage du travail actuel est un non-sens car il provoque une énorme souffrance aussi bien du côté de ceux qui travaillent 0 heure par semaine que du côté de ceux qui travaillent « plein-pot », mais acceptent de plus en plus des emplois stressants ou médiocrement payés, car ils ont peur d’être dans le prochain plan social (« si tu n’es pas content, va voir ailleurs »). Ce partage du travail profite essentiellement aux actionnaires dont les revenus n’ont jamais été aussi élevés.
Durée moyenne du travail : 33,7 heures aux Etats-Unis, 30,05 en Allemagne, 35,1 en Belgique...
D’une façon ou d’une autre, un certain « partage du travail » existe dans tous les pays : aux Etats-Unis, avant même la crise des subprimes, il y avait tellement de petits boulots à 10 ou 15 heures par semaine que la durée moyenne du travail était de 33,7 heures. Ces chiffres contredisent tout ce qu’on nous a dit et répété sur le « miracle américain », mais ce sont les chiffres officiels : en 2005, avant la crise, au moment où les Etats-Unis connaissaient encore une forte croissance, la durée moyenne pour ceux qui avaient un travail était inférieure à 34 heures quand la durée moyenne - tous emplois confondus - était en France de 36,3 heures.
De même, en Allemagne, les chiffres du Ministère du Travail indiquent que, avant la crise de 2008, avant la mise en place du KurzArbeit, quand l’Allemagne était présentée comme un modèle de plein emploi, la durée moyenne sans compter les chômeurs était de 30,3 heures. Elle est tombée
à 30,05 heures en 2010.
33,7 heures de durée moyenne aux Etats-Unis, 30,05 heures en Allemagne… Dans tous nos pays, que nous le voulions ou non, on produit plus avec moins de travail. Or, en Belgique, la durée moyenne du travail s’élevait à 35,1 heures en 2011, soit un niveau plus élevé que dans la majorité des pays développés.
Nous sommes en train de vivre une révolution telle que l’humanité n’en a jamais connue.
Alors qu’il avait fallu 140 ans pour que la productivité soit multipliée par deux entre 1820 et 1960, elle a depuis été multipliée par CINQ. La révolution industrielle du XIXème siècle ou l’invention du travail à la chaine au début du XXème siècle sont des gains de productivité presque ridicules au regard de ceux réalisés depuis trente ans.
Si l’on intègre les gains de productivité colossaux réalisés dans toutes nos économies depuis 40 ans, le débat n’est plus « pour ou contre la réduction collective du temps de travail ? » mais plutôt « quelle réduction collective du temps de travail ? » Partage organisé par le marché (précarité, stress et concurrence permanente) ou organisé par le débat, le referendum et la négociation en vue d’une meilleure répartition ?
La cause fondamentale de la crise
Voilà la principale explication du chômage et de la précarité qui rongent nos sociétés depuis 30 ans, voilà donc la cause fondamentale de la crise qui a éclaté depuis cinq ans : notre incapacité collective à gérer des gains de productivité colossaux qui ont majoritairement été captés par les actionnaires des firmes. Car ces gains sont vraiment considérables.
« Une baisse de la durée du travail à 30 heures permettrait de reconstituer une vie familiale et une vie privée », écrivait Edgar MORIN dans Pour une politique de Civilisation.
En période de crise, il est plus facile de jouer sur les peurs et de parler au cerveau reptilien que de parler à l’intelligence et au cerveau citoyen.
En période de crise, le bon sens ne veut-il pas que l’on travaille plus en gagnant un peu moins ? Ce bon sens reptilien a conduit à la crise de 1929.
En réalité, le seul moyen de rééquilibrer le marché du travail pour augmenter vraiment les salaires, le meilleur moyen aussi de sauver les retraites, c’est de s’attaquer frontalement au chômage. Ce qui passe (entre autres actions) par un autre partage du temps de travail et un autre partage des revenus.
Pour approfondir ce sujet :
Faire éclore la démocratie en Europe
Changer radicalement les institutions
Dans le système intergouvernemental actuel de l’Union européenne, il n’y a que des chefs d’Etat et des chefs de gouvernement autour de la table de décision européenne. Avec un tel système, aucune alternance n’est possible et l’accord des 27 chefs d’Etat est nécessaire pour de nombreuses questions fondamentales. La paralysie est assurée. Et quand les politiques sont paralysés, ce sont les technocrates ou le marché qui font la loi.
Alors que si l’on adoptait un système parlementaire, avec des élections entre partis européens et pas entre candidats nationaux, des députés européens de tel ou tel pays pourraient être mis en minorité sans drame national puisque d’autres députés européens du même pays seraient, eux, dans la majorité. C’est bien un débat politique (droite/ gauche) qui est tranché dans un Parlement et non un combat entre nations. Si l’on adoptait un fonctionnement parlementaire, l’ensemble de la Commission, le Gouvernement européen, serait d’une seule couleur politique (celle qui a la majorité au Parlement européen). Il n’interviendrait que sur les questions sur lesquelles un pays isolé n’a plus vraiment de souveraineté, celles sur lesquelles nous devons absolument nous unir pour être efficaces : défense, diplomatie, monnaie, recherche, sécurité intérieure, environnement, régulation de la mondialisation…
En réalité, il n’est pas nécessaire d’avoir la même organisation dans tous les pays. Nous devons seulement nous mettre d’accord sur les domaines où l’Europe est nécessaire pour retrouver une vraie capacité d’agir : non pas la taille des bananes et le calibre des avocats, mais la diplomatie, la défense, la recherche, la régulation de la mondialisation, etc… Pour toutes les autres questions, chaque pays fait comme il le veut. On peut très bien avoir une diplomatie et une recherche communes en conservant des traditions différentes dans d’autres domaines. Aux Etats-Unis, les lois et les modes de vie sont très différents en Floride et au Texas. De même, en Inde, le Kérala et le Rajahstan ont des organisations sociales et des cultures assez différentes. Cela ne les empêche pas d’appartenir à une même fédération.
Si l’on adoptait un système parlementaire, le gouvernement européen serait désigné par la majorité du Parlement européen pour mettre en œuvre le projet exposé aux citoyens avant les élections européennes. Il aurait cinq ans pour mettre en œuvre ce projet. L’Europe disposerait d’une fiscalité propre : impôt sur les bénéfices, écotaxe ou taxe Tobin améliorée, un impôt voté par le Parlement européen financerait la défense, la diplomatie, la recherche, la politique agricole, les fonds structurels… Tous les 5 ans, les élections européennes seraient l’occasion de vrais débats politiques. Les citoyens pourraient faire le bilan de la majorité sortante et décider de lui donner ou non 5 ans de plus... L’Europe aurait les moyens d’agir efficacement et rapidement sur tous les dossiers où la décision politique est aujourd’hui paralysée par l’unanimité.
Si l’on renforce le pouvoir du Parlement européen, comment être sûr que les élections européennes seront réellement des élections où l’on débat des questions européennes et non pas 25 élections nationales simultanées ? En 1997, Jacques Delors proposait que les formations politiques européennes désignent avant les élections leur candidat au poste de Président de la Commission. Aux Etats-Unis (d’Amérique), les citoyens élisent un ticket (Président et Vice-Président) en même temps qu’ils désignent leurs représentants. De ce fait, les électeurs du Texas ont bien conscience de participer au même scrutin que ceux de Floride.
Pourquoi les partis qui participent aux élections européennes ne pourraient-ils pas désigner avant les élections les 3 ou les 5 personnalités (issues de pays différents) qui dirigeraient la Commission pendant cinq ans ? Cela obligerait les partis à s’entendre sur des programmes réellement européens et cela éviterait que ne se reproduisent les graves cafouillages qui ont entouré la naissance de la Commission Barroso.
En ce début 2013, l’Europe est à la croisée des chemins. Les traités européens sont remis en cause par certains, mais la diplomatie est une chose trop importante pour être laissée aux diplomates. Si l’on avait attendu un accord entre diplomates, le Mur de Berlin serait toujours debout. Ce sont des citoyens, des élus, des syndicats et des associations qui ont voulu et obtenu la chute du Mur et la réunification de l’Europe. C’est aux citoyens de dire aujourd’hui quelle Europe ils veulent construire.
« Par notre inertie, nous enlevons au monde son visage humain » écrivait le philosophe Alain. En ne se donnant pas les moyens de devenir une force politique, diplomatique et militaire, l’Europe participe à la déshumanisation du monde. En 1993, les signataires des accords d’Oslo demandaient à l’Europe de les aider à construire la paix entre Israël et la Palestine. Presque 20 ans plus tard, il n’existe toujours pas de diplomatie européenne et toutes les semaines, les médias nous apprennent combien d’hommes, de femmes ou d’enfants sont morts sur les rives du Jourdain, du Tigre et de l’Euphrate… et nous nous sentons dramatiquement impuissants.
Jean Monnet disait toujours que l’Europe n’avance qu’avec des idées simples. Mettre ensemble le charbon et l’acier, créer une monnaie unique, ce sont des chantiers énormes mais ce sont des idées qu’un enfant de 5 ans peut comprendre. L’Europe n’avance qu’avec des idées simples. Simples mais radicales.
Négocier un vrai Traité de l’Europe sociale
Retrouver la voie du progrès social
« Votez Oui à Maastricht et on se remettra au travail tout de suite sur l’Europe sociale » affirmait Jacques Delors quelques jours avant le référendum sur Maastricht en 1992. Il reconnaissait que le Traité était très insuffisant en matière sociale mais demandait aux citoyens de ne pas casser la dynamique européenne. Le Oui était passé de justesse. Vingt ans plus tard, alors que la crise sociale s’aggrave dans tous nos pays, les Traités européens sont de nouveau en discussion. Les peuples ne peuvent plus se contenter de promesses. Il faut passer aux actes.
Comment éviter que notre production industrielle soit délocalisée au sein même de l’Europe ? La Belgique doit-elle s’aligner sur le moins-disant fiscal et social tchèque ou faut-il agir, au contraire, pour que l’ensemble des pays membres renoncent à des stratégies de dumping et retrouvent, ensemble, la voie du progrès social ? Pour éviter que les pays d’Europe soient tentés les uns après les autres d’imiter et d’amplifier ce dumping, il faut profiter des négociations en cours pour imposer un vrai Traité social européen, avec des critères de convergence sociaux, qui oblige les 27 états membres à converger « vers le haut » en matière sociale comme ils ont su converger vers le haut en matière économique grâce aux critères de Maastricht.
Si, depuis des années, nous sommes nombreux à militer pour l’adoption d’un vrai Traité de l’Europe sociale, c’est pour trois raisons au moins :
1 > des raisons sociales, évidemment. Comment se résigner à de tels niveaux d’injustice ? Comment accepter qu’on laisse autant d’hommes, de femmes et d’enfants sur le bas-côté ? Pas besoin d’insister ; vous partagez sans doute la même volonté de lutter contre l’injustice.
2 > des raisons politiques. En ne se donnant pas les moyens de devenir une force politique, diplomatique et militaire, l’Europe participe à la déshumanisation du monde : en 1993, les signataires des accords d’Oslo demandaient à l’Europe de les aider à construire la Paix entre Israël et la Palestine... Presque vingt ans plus tard, il n’y a toujours pas d’Europe politique, toujours pas de force européenne d’interposition.
Il est temps de réagir et de faire naître une Europe politique, disposant d’une vraie diplomatie et d’une vraie armée. Oui, il y a urgence à faire naître une Europe puissante, capable de tirer richesse de sa diversité. Mais il n’y aura pas d’Europe forte sans soutien des opinions publiques : pas d’Europe politique sans Europe sociale.
Dans de nombreux pays, les citoyens n’accepteront aucune évolution vers une Europe politique si la question sociale est toujours remise à plus tard. Il n’y aura pas de progrès institutionnel (une diplomatie européenne, une défense européenne) si l’Europe oblige ses Etats membres à mettre en place des plans de rigueur et n’est pas capable de répondre mieux aux attentes de la vie quotidienne des citoyens.
3 > des raisons économiques enfin. Si nous voulons un Traité de convergence sociale c’est aussi parce que, comme le disait Ford au siècle dernier, "en période de crise, chacun voudrait baisser les salaires et baisser la protection sociale, mais cette baisse des salaires aggrave la crise ! Il faut donc nous donner des règles collectives pour éviter que le dumping de l’un oblige tous les autres à un dumping équivalent." Surtout quand ce dumping est inutile parce que, globalement, la balance commerciale de l’Europe est équilibrée !
C’est quand tous ont un vrai travail, un vrai salaire et une bonne protection sociale que l’économie fonctionne de la façon la plus solide. Voilà pourquoi il nous paraît urgent - vraiment urgent - de doter l’Europe d’un vrai traité social.
Le traité de Maastricht comportait cinq critères (déficit inférieur à 3 %, dette inférieure à 60 %…). De même, nous proposons 5 objectifs pour l’Europe sociale :
- un emploi pour tous : un taux de chômage inférieur à 5 % ;
- une société solidaire : un taux de pauvreté inférieur à 5 % ;
- un toit pour chacun : un taux de mal-logés inférieur à 3 % ;
- l’égalité des chances : un taux d’illettrisme à l’âge de 10 ans inférieur à 3 % ;
- une réelle solidarité avec le Sud : une aide publique au développement supérieure à 1 % du PIB.
Nous avons su vaincre l’inflation (en quelques années, elle est passée de 14% à 2%). Pourquoi ne pas nous attaquer avec autant de force au chômage, à la pauvreté ou au mal logement ? Des sanctions doivent être prévues pour les Etats qui ne respecteraient pas ces critères sociaux d’ici 10 ans. Le traité doit comporter également des garanties fortes en matière de financement des systèmes de sécurité sociale et des services publics.
Le Traité doit obliger le Président de la Banque centrale européenne à dialoguer avec les élus (comme c’est le cas aux Etats-Unis). Il doit permettre le financement du budget européen par un impôt européen. Le Traité reconnaît le principe d’intérêt général et l’utilité des services publics.
Il doit charger le Parlement européen d’élaborer d’ici deux ans une vraie Charte du développement durable qui obligera l’Europe à modifier sa politique énergétique et ses positions en matière de politique commerciale.
Dans un marché unique, aucun pays ne peut progresser durablement en matière sociale si les autres régressent. La France ou la Belgique ne pourra pas garder longtemps un haut niveau de protection sociale si tous nos voisins y renoncent progressivement. Si, en Italie, en Autriche ou en Espagne, des millions de retraités pauvres viennent rejoindre les rangs des salariés pauvres, il est illusoire de penser que nous pourrons, seuls, conserver un haut niveau de cotisation et de protection sociale. Voilà pourquoi il faut créer un « carcan positif » obligeant tous les pays à converger vers le haut, au lieu de se résigner à détruire progressivement toutes les protections sociales construites depuis un demi-siècle.
Non seulement l’Europe doit être un bouclier protecteur, mais elle doit inciter chaque pays à améliorer son système social en allant voir chez le voisin ce qu’il y a de mieux.
Si nous voulons effectivement éviter les délocalisations vers la République tchèque, si nous voulons éviter que la baisse des salaires en Allemagne ne diminue l’activité de nos usines, c’est maintenant qu’il faut agir. La solution n’est pas d’imiter le dumping des uns et des autres mais, au contraire, comme le disait Ford, de "nous donner des règles collectives" qui obligeront tous les pays à converger vers un plus grand progrès social. La crise actuelle doit être, pour l’Europe, l’occasion d’un sursaut démocratique et social.